Les éditions la Joie de Lire, hors catégorie…

Catégorisation, segmentation, sectorisation, des mots froids, qui, malheureusement, définissent de plus en plus souvent les lecteurs.

Le lectorat est en effet de plus en plus réduit à n’être qu’une tranche d’âge. Il est certes peu évident de se repérer dans une production littéraire toujours plus foisonnante, et on peut comprendre ce besoin d’établir des repères, des collections pour les 6-8 ans, les 8-10 ans, les 10-12 ans, les adolescents, etc, afin d’aider les parents et les prescripteurs dans leurs choix. Cependant, le livre idéal pour les 6 ans, les 8 ans, les 10 ans, les 12 ans, les 30 ans, les 60 ans n’existe pas !Le livre n’est pas une prescription donnée à un âge donné.

Inviter le lecteur à ne pas se perdre, l’engoncer dans un carcan peut réduire à néant la petite étincelle de risque, de découverte jubilatoires face à une lecture plus complexe (aussi bien au niveau du contenu que de la narration). Le lecteur y perd alors la possibilité de se dévoiler, tout d’abord, à lui-même. Comme si toutes difficultés, tous écueils devraient être éviter à tout prix. Pourquoi ?

Découvrir, dévoiler, là est la lecture. Certes ce qui relève de la lecture adolescente n’est pas cohérent pour un enfant de 8 ans, et vice-versa. Chaque lecteur est pourtant, et fort heureusement, unique et la sectorisation quasi-systématique ( mais aussi les avertissements de lecture, aperçus plus récemment dans certains ouvrages) brise le lecteur en tant qu’individu, qu’être unique. Le lecteur est Un.

Un éditeur l’a bien compris : La Joie de Lire. Cette maison helvète de littérature jeunesse indique aussi, depuis peu, une catégorie sur ses romans, à une nuance près :

Catégorie d’âge : Chaque lecteur est unique. Si vous avez un doute, demandez conseil à votre libraire.

Bravo de refuser les réductions, la classification, la globalisation. Merci de considérer la lecture comme multiple et chaque lecteur comme être unique.

La confiance que La Joie de Lire accorde aux libraires, sa reconnaissance, les confirme en tant que passeurs, culturels et sociaux, mais surtout des passeurs à l’écoute de la singularité d’autrui. Cette simple note en quatrième de couverture des romans est aussi un message d’affection envers les libraires, mais est surtout une marque de respect envers les lecteurs et leur individualité.

Alice Liénard

Aujourd’hui, la journée fut splendide

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Aujourd’hui, la journée fut splendide, pas seulement parce que la neige et le soleil étaient au rendez-vous.
J’ai assisté avec Brigitte Moreau, la directrice générale de la librairie, à l’inauguration d’un coin lecture au Centre Rose Virgine Pelletier. Ce centre accueille des filles, des jeunes filles, avec des problèmes d’ordre psycho-sociaux . Un mot clinique derrière lequel se cache une réalité très dure. Derrière ce mot, de la souffrance. Cette réalité ne nous touche pas, nous en sommes loin, nous en sommes protégés.

Grâce à l’ADELF l’association des distributeurs exclusifs de livres en langue française, un coin lecture a été créé au sein de ce centre.
L’ ADELF était déjà à l’initiative de La lecture en cadeau avec La Fondation pour l’Alphabétisation. Maintenant, ce projet vole des ses propres ailes, et l’ADELF a décidé de financer la création de coins lecture dans les centres jeunesse. Rose Virgine Pelletier en est le premier. L’association des distributeurs a travaillé en étroite collaboration avec l’équipe d’éducateurs du centre afin de répondre à leurs besoins. Merci l’ADELF !
Leur coin lecture est doux, chaleureux, on a envie de s’y blottir et de lire, lire, lire !!!
La librairie a été choisie pour fournir les livres, et ce au vu de notre expertise en littérature jeunesse. Pour nous, ce projet est l’un des plus beaux que nous avons accompagné. Car nous sommes convaincus que les livres sont des portes, des chemins, des petits bonheurs qui peuvent aider à la construction, ou la reconstruction, de soi. Ils participent à notre construction intérieure. Nous croyons à la résilience par les livres. Bien sûr, ils ne sont pas Les réponses, mais ils peuvent être une étincelle.

Ce coin lecture était très attendu par les filles. Le plus touchant fut l’intervention d’une jeune fille. On sentait son exaltation, exaltation de ressentir, exaltation de découvrir que l’on pouvait rentrer en soi, découvrir, doucement, sans danger, grâce aux livres. Ces jeunes filles sont en demande. J’ai discuté avec l’une d’entre elles et ce fut magique de sentir sa joie de voir des livres qu’elles voulaient lire, d’en découvrir d’autres. Le plaisir est là aussi, à travers l’échange avec les autres, les liens que l’on crée en soi mais aussi avec les autres. J’en reviens toujours au lien, mais il est une trame nécessaire, pour moi, dans les relations avec les autres et avec soi-même.

Ce projet va se poursuivre avec d’autres coins lecture, dans d’autres centres. On espère aussi des coins lecture dans les autres unités du centre Rose Virginie Pelletier, car pour le moment une seule unité en est pourvue. Mais tout cela va se construire à petits pas.
Georges Laberge, membre de l’ADELF, qu’il a ressucitée, a cité lors de l’inauguration, Gabriel Garcia Marquez ( dans la lettre d’adieu qu’il a envoyée à ses amis et qui circule sur le net ) : je donnerais des ailes à un enfant, mais je le laisserais apprendre seul .

Les livres peuvent être ces ailes. Les filles y puiseront peut-être des forces qu’elles ne soupçonnent pas. Participer à un tel projet est exaltant, enrichissant, tellement humain. On se sent utile, acteur d’une belle chose, pas le premier rôle, non, nous ne cherchons pas ça, nous sommes des acteurs de l’ombre. Le libraire est acteur de la vie dite socio-culturelle , encore un mot un peu trop abrupt à mon sens. Son implication va au-delà des conseil et de la vente. Je le dis, le redis et le redirai, nous sommes des passeurs. Nous créons des liens, nous participons à la vie des gens, j’oserai dire à leur humanité, en quelque sorte aussi. Nous apportons une pincée de bonheur, une pincée d’imagination, une pincée de vie.
Poursuivre cette expérience en allant les revoir ? Leur raconter des livres, échanger ? Belle idée de Brigitte (qui leur a déjà fait l’heure du conte). Nous allons y réfléchir, car la continuité est importante.
Je souhaite aux filles de belles lectures, des échanges, des moments avec soi (avec les autres aussi) trépidants, intenses. Je leur souhaite des retrouvailles. Ce peut aussi être juste des petits bonheurs de lecture, des vagabondages dans l’imagination.
Je leur souhaite du bonheur tout simplement. Beau projet que de vouloir donner des ailes aux gens.
Oui,ce fut une magnifique journée.
Alice Liénard
Librairie Monet,